Écrit par: Sabine Cuesta
Redacté par: Ashley Mok
Il me faut quelques moments pour trouver le bac de stockage dans la porcherie où va mourir le bric-à-brac de ma famille: le garage. Enfin, mes yeux s’accrochent au bac en question; il se cache parmi les vélos, les outils de jardinage et d’autres bacs bleus pratiquement identiques. Je commence à le tirer d’une étagère à hauteur d’épaule… mais il est plus lourd que je ne le prévoyais et cela me demande un effort embarrassant. Mes bras tremblent sous le poids du bac et je jure silencieusement en cherchant un endroit où le déposer.
À coups de pied, j’écarte quelques cartons sur le sol du garage, où je laisse tomber mon bac difficilement acquis avec un soufflement. Tout en calmant ma respiration rapide et haletante (je devrais vraiment faire plus d’exercice), j’examine l’état du bac de stockage. Son extérieur bleu est aussi abîmé et décoloré que dans mes souvenirs, mais l’étiquette indiquant “COSTUMES DE L’HALLOWEEN” est soigneusement préservée sous une couche de ruban adhésif transparent.
Un courant d’air frais d’octobre m’incite à poursuivre ma mission et je retire le couvercle en plastique en frissonnant. Je suis à la recherche du maquillage de l’année dernière pour créer le sourire sinistre qui accompagnera mon nouveau costume de clown. Mais il semble se trouver quelque part au fond, car tout ce que je vois, ce sont des perruques, des bas odieusement rayés et un méli-mélo d’autres éléments de costume. À genoux, je fouille dans la boîte – une femme en mission.
Alors qu’un costume vif de petit chaperon rouge apparaît, j’entends le froissement caractéristique d’un emballage de bonbons dans l’une des poches. Je suis instantanément ramenée à un Halloween lointain (en troisième année, peut-être ?), une époque où je bavais sur une sucette aussi rouge que ma cape et où je souriais avec des dents colorées par le colorant alimentaire. “Tu ressembles à un vampire qui a bu du sang!” Maman s’est exclamée en riant et mon sourire s’est élargi. Encore aujourd’hui, je choisis des bonbons au goût de cerise.
Je continue à fouiller dans les costumes, en essayant d’ignorer l’odeur de moisi qui émane du bac. Mes mains rencontrent bientôt le tissu blanc synthétique d’un costume de la princesse Leia, qui date de l’époque où j’étais encore plus jeune. Ce souvenir n’est pas autant nostalgique; je me souviens de la déception profonde lorsque mon père m’a annoncé qu’il ne pourrait pas m’accompagner à la chasse aux bonbons à cause d’un voyage d’affaires.
J’ai protesté bruyamment et je l’ai supplié de ne pas partir. Nous avions la tradition de faire la chasse aux bonbons ensemble chaque année et cette année-là, ma princesse Leia avait besoin de son Dark Vador. Heureusement, Maman et moi avons passé un bon moment à distribuer des bonbons. Bon, elle distribuait des bonbons, moi je les accumulais. Je souris à ce souvenir maintenant, heureuse que ma mère m’ait appris à chercher les bons côtés des choses, une compétence qui s’est prouvée infiniment précieuse dans le monde désagréable du lycée.
Je devrais probablement cesser de me distraire, pense-je. Mais en vain; le maquillage refuse de se présenter et le fantôme d’Halloween Passé est implacable. Un autre costume—cette fois-ci, un haut-de-forme steampunk, avec des engrenages et des lunettes—apparaît dans mes mains. Je ne peux m’empêcher de toucher aux beaux engrenages en cuivre que j’étais si fière de porter il y a quelques années, avant d’être jetée (avec un peu de force, je dois dire) au lycée. En pensant à moi-même en septième année, je ressens une vague d’admiration et d’envie. Je traversais l’école avec une confiance totale, la tête encore plus haute le jour d’Halloween grâce à ma superbe tenue, la tête encore plus haute le jour d’Halloween grâce à ma superbe tenue. Dans un moment de nostalgie, je pose le chapeau rigide sur ma tête. Je soupire, puis poursuis ma recherche.
Je fouille encore un peu jusqu’à ce que… Aha! Enfin, mes doigts rencontrent quelque chose de lisse et de plastique, et je sors impatiemment le maquillage. Heureusement, cela en vaut la peine. Le trousse contient de la peinture faciale blanche, noire, rouge et bleue, ainsi qu’une image de référence pratique. Je le serre contre ma poitrine avec la satisfaction d’une mission accomplie, puis j’examine l’emballage de plus près. L’image de référence montre le sourire peint d’un clown, qui s’étend d’une pommette à l’autre, masquant à peine l’expression menaçante et vide qui se cache derrière. Le clown porte une répugnante perruque orange néon, si brillante qu’elle fait presque oublier le maquillage.
Je fronce les sourcils. Il y a quelque chose qui me met mal à l’aise, mais ce n’est pas à cause du clown effrayant ou de la perruque atroce. Je le contemple pendant quelques instants, incapable de mettre le doigt sur l’aspect de l’emballage qui me dérange.
Puis j’ai une réalisation—mon expression est probablement semblable à celle du clown quand je suis en public. Je suis habituellement impassible à l’intérieur, mais j’affiche un sourire aussi sincère que possible pour paraître plus plaisante. C’est épuisant.
Je lève la main et passe mes doigts sur le bord de mon chapeau, me laissant réconforter par l’assurance—et la nonchalance à l’égard du jugement des autres—que j’avais auparavant. Un autre vent frais souffle, et je remets doucement mon chapeau dans le bac. Je remets le couvercle bleu et, avec beaucoup d’efforts, je pousse la poubelle contre le mur du garage (seule la magie réussit à remettre ce bac de 10 tonnes sur l’étagère).
En sortant du garage vers le soleil, j’en ressors avec pas un, mais deux trésors; je sors avec le maquillage de costume un peu croûté et un rappel que je ne dois pas me déguiser pour les autres. Je porte mon costume pour moi-même—que je décide de faire un sourire écarlate, de faire la moue pour Dark Vador ou de me pavaner dans les couloirs sans la moindre inquiétude.
Peut-être que je ne suivrai pas le sourire peint de la photo de référence, pense-je. Cette année, mon maquillage suivra le contour de mes lèvres, afin que mon clown puisse montrer son vrai visage. Elle peut arborer un visage droit ou une grimace… ou encore un sourire diabolique.
Mots de Vocabulaire
un bac de stockage – a storage bin
une porcherie – a pigsty
bric-à-brac – junk
prévoir – foresee
jurer – to swear
écarter – to move aside
haletante – panting
abîmé – scratched up
soigneusement – carefully
ruban adhésif – tape
frissonner – shivering
odieusement – obnoxiously
un méli-mélo – mish-mash
fouiller – to rummage
vif – bright
froissement – crinkle
ramener – to take (something)
baver – to drool
la moisi – mold
tissu – fabric
supplier – to beg
Dark Vador – Darth Vader
le lycée – high school
implacable – relentless
haut-de-forme – top hat
engrenages – gears
vaut la peine – is worthwile
poitrine – chest
pommette – cheekbone
à peine – barely
fronce les sourcils – frown
impassible – emotionless
épuisant – exhausting
à l’égard – in regards to